Pourquoi y a-t-il 7 notes ? Pythagore et la gamme diatonique
Imaginez la situation suivante :
- vous vivez à une époque où la musique n'existe pas encore ;
- vos seuls outils sont un monocorde et la connaissance des intervalles fondamentaux ;
- vous devez choisir une sélection de fréquences pour en faire des notes.
Comment feriez-vous ?
Qu'est-ce qu'une gamme ?
Nous n'avons pas encore défini ce qu'est une gamme.
C'est à l'école Pythagoricienne que nous devons la première gamme de l'Histoire.
La gamme Pythagoricienne est restée utilisée de l'antiquité jusqu'au moyen-âge.
C'est grâce (ou à cause ?) de cette gamme que :
- nous divisons l'octave en douze ;
- nous utilisons sept notes et cinq altérations ;
- il n'y a qu'un demi-ton entre mi et fa ou si et do.
C'est pourquoi nous allons étudier sa construction en détail.
La construction de la gamme Pythagoricienne
Sélectionnons une fréquence de manière tout à fait arbitraire.
Afin de nous faciliter les calculs à venir, nous allons utiliser un nombre rond : 200 Hz.
Nous avons notre première note. On la dispose sur un cercle qui représente l'octave.
Une gamme à une note n'est pas très utile, n'est-ce pas ?
Nous allons sélectionner une nouvelle note en montant d'un intervalle consonant.
Évidemment, l'unisson et l'octave ne permettent pas d'obtenir une note différente, nous nous rabattrons sur l'intervalle suivant : la quinte.
Cette nouvelle note a une fréquence de 200 × (3/2) = 300 Hz.
Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, montons à nouveau d'une quinte. Nous obtenons une nouvelle note d'une fréquence de 300 × (3/2) = 450 Hz.
Ramener les notes dans l'octave
Il y a un petit problème : cette nouvelle note est « sortie » de l'octave de départ.
En effet, nous ne voulons que des notes dont les fréquences sont comprises entre 200 et 400 Hz.
Qu'à cela ne tienne, il nous suffit de diviser la fréquence de la note par deux afin qu'elle « retombe » dans l'octave.
450 ÷ 2 = 225 Hz
On a donc le calcul suivant :
200 × (3/2) × (3/2) ÷ 2 = 200 × (9/8) = 225
(Pas d'inquiétudes, si vous avez compris le principe, vous n'avez pas nécessairement besoin de refaire le calcul.)
À ce stade, notre gamme ressemble maintenant à ceci :
Vous avez compris le principe : chaque nouvelle note est obtenue en montant d'une quinte par rapport à la précédente.
(En redescendant d'une octave chaque fois qu'on sort de l'octave de départ.)
Le fait de procéder ainsi par mouvements d'intervalles consonants nous permet de nous assurer que toutes nos notes présenteront une certaine consonance entre elles.
Quand a-t-on assez de notes ?
Bien, mais en procédant ainsi, nous pouvons obtenir une infinité de notes. Quand nous arrêter ?
Pour répondre à cette question, voici un tableau récapitulant les quinze premières notes dans l'ordre où elles sont générées.
Nombre de quintes | Fréquence (Hz) | Rapport |
---|---|---|
0 | 200.00 | 1.000 |
1 | 300.00 | 3/2 (1.500) |
2 | 225.00 | 9/8 (1.125) |
3 | 337.50 | 27/16 (1.688) |
4 | 253.12 | 81/64 (1.266) |
5 | 379.69 | 243/128 (1.898) |
6 | 284.77 | 729/512 (1.424) |
7 | 213.57 | 1.068 |
8 | 320.36 | 1.602 |
9 | 240.27 | 1.201 |
10 | 360.41 | 1.802 |
11 | 270.30 | 1.352 |
12 | 202.73 | 1.014 |
13 | 304.09 | 1.520 |
14 | 228.07 | 1.140 |
15 | 342.10 | 1.711 |
On remarque une chose intéressante : au bout de sept quintes, on tombe sur 213,57 Hz, une valeur relativement proche de la note de départ (200 Hz).
Or, pour les pythagoriciens, le nombre sept était sacré ! Il correspondait au nombre de corps célestes connus (Soleil, Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne).
On observe un phénomène similaire au bout de la douzième quinte qui nous donne un résultat encore plus proche : 202,73 Hz.
Sept ? Douze ? Des nombres qui devraient vous paraître familiers ; serions nous sur une piste ?
L'apparition de la gamme heptatonique (à sept notes)
Puisqu'on retombe presque sur la valeur de départ à la septième quinte, on peut essayer de s'arrêter juste avant et ne garder que les sept premières notes (la note de départ et les six quintes successives).
Voici ces sept notes, ordonnées par fréquences.
Nombre de quintes | Fréquence (Hz) | Rapport |
---|---|---|
0 | 200.00 | 1/1 (1.000) |
2 | 225.00 | 9/8 (1.125) |
4 | 253.12 | 81/64 (1.266) |
6 | 284.77 | 729/512 (1.424) |
1 | 300.00 | 3/2 (1.500) |
3 | 337.50 | 27/16 (1.688) |
5 | 379.69 | 243/128 (1.898) |
Et voici la gamme correspondante :
Si on calcule les écarts de hauteur entre deux notes successives, on constate qu'il n'y en a que deux :
- un « grand », qui correspond au ton ;
- et un « petit », qui équivaut au demi-ton.
Ratio | Écart avec la note précédente |
---|---|
1/1 (1.000) | NA |
9/8 (1.125) | 9/8 |
81/64 (1.266) | 9/8 |
729/512 (1.424) | 9/8 |
3/2 (1.500) | 256/243 |
27/16 (1.688) | 9/8 |
243/128 (1.898) | 9/8 |
2 | 256/243 |
Cette gamme peut nous sembler familière, mais elle présente une certaine divergence avec notre gamme actuelle.
En effet, les tons et demi-tons ne sont pas répartis de la même manière.
La gamme pythagoricienne n'est pas la gamme actuelle
Cette gamme présente plusieurs problèmes, mais un surtout génait les pythagoriciens.
Il manque à cette gamme l'intervalle de quarte !
Les pythagoriciens aimaient les ratios simples, et il est probable que le ratio de cette sixième quinte (729/512) devait les embêter un peu.
Une solution simple s'offre à nous : laisser de côté cette sixième quinte et compléter la gamme avec une quinte descendante à la place.
(Rappelons en effet que descendre d'une quinte et remonter d'une octave équivaut à monter d'une quarte.)
Cette nouvelle note s'obtient ainsi :
200 × (2/3) × 2 = 200 × (4/3) = 266,67
La gamme devient alors :
Nombre de quintes | Fréquence (Hz) | Rapport |
---|---|---|
0 | 200.00 | 1/1 (1.000) |
2 | 225.00 | 9/8 (1.125) |
4 | 253.12 | 81/64 (1.266) |
-1 | 266,67 | 4/3 (1,333) |
1 | 300.00 | 3/2 (1.500) |
3 | 337.50 | 27/16 (1.688) |
5 | 379.69 | 243/128 (1.898) |
Il faut bien l'avouer, cette gamme ressemble furieusement à notre gamme actuelle !
On serait presque tenté de donner des noms aux notes !
(En réalité, les noms do, ré, mi… ne viendront que plus tard dans l'Histoire, mais c'est pour la beauté de la démonstration.)
On peut aussi s'amuser à calculer la distance entre chaque paire de notes successives, et constater qu'il n'y en a toujours que deux.
Rapport | Écart avec la note précédente |
---|---|
1/1 (1.000) | NA |
9/8 (1.125) | 9/8 |
81/64 (1.266) | 9/8 |
4/3 (1,333) | 256/243 |
3/2 (1.500) | 9/8 |
27/16 (1.688) | 9/8 |
243/128 (1.898) | 9/8 |
2 | 256/243 |
BOUM !
Pourquoi y a-t-il sept notes dans la gamme ?
Si vous avez compris ce qui précède, vous aurez obtenu des réponses aux questions suivantes :
- Pourquoi y a-t-il sept notes ? À cause d'une bête double-coïncidence : enchaîner sept quintes est à peu près équivalent à enchaîner quatre octaves et le nombre sept présentait un intérêt particulier pour les esprits superstitieux de l'époque.
- Pourquoi y a-t-il un grand intervalle entre do et ré et un petit intervalle entre mi et fa ? Cela découle naturellement de la méthode de construction de la gamme pythagoricienne.
- Pourquoi les intervalles sont-ils nommés ainsi ? Parce que l'intervalle de quarte équivaut à l'écart entre quatre notes (do, ré, mi, fa), la quinte équivaut à cinq notes (do ~ sol), l'octave à huit notes, etc.
La gamme diatonique est incomplète
Cette gamme est appelée la gamme diatonique.
Mais aussi utile soit-elle, cette gamme est incomplète !
Nous allons voir pourquoi dès la leçon suivante.
En résumé
On considère généralement que la gamme de Pythagore est la première gamme de l'Histoire. En étudiant la manière dont elle est construite, on commence déjà à mieux comprendre les raisons de la répartition de nos notes actuelles.